Au-delà des mots et des maux numéro 91
Dans l’une de mes émissions consacrées aux aires protégées, Brice Sinsin, l’ancien Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi, s’indignait de la façon suivante, à propos de la terre, « quand les hommes sont malades, ils se font soigner. Qui soigne la terre lorsqu’elle est malade ? ». Et pourtant, elle est tout pour l’homme. Malheureusement, elle est constamment agressée, malmenée, torturée et fragmentée. Et puis, la seule fois où les hommes la respectent, c’est lorsqu’ils arrivent en fin de vie. La terre tient, cette fois une belle revanche. Au-delà des kg de motte de terre sur nos cercueils, nos dépouilles doivent s’attendre désormais à une température bien plus élevée à l’intérieur de la tombe, conséquence d’un réchauffement climatique. Ce qui équivaut à une double mort. Le 22 avril est la Journée Mondiale de la Terre, celle que lui consacre la communauté internationale. « Investir dans notre planète » est le thème de cette année. Une occasion pour les hommes de faire leur mea culpa. Les vagues agitations sont inutiles, il faut inventer d’autres stratégies pour lui redonner vie.
Imaginons le nombre d’usages et de servitudes que la terre supporte sans broncher. Les motos, les voitures, les charrues, les bus et les trains passent et repassent dessus. Elle fait vivre de petits paysans, et les gros cultivateurs en tirent de gros bénéfices. L’homme a fabriqué des machines de toutes sortes pour la raboter et lui donner une forme appropriée. Il lui administre des pesticides et des engrais pour la booster. La terre n’empêche pas l’arachide de pousser dans ses entrailles ni le maïs de prospérer sur son dos. Elle donne à manger aux animaux comme aux hommes . Elle est une variable écologique, un maillon essentiel dans les relations entre l’homme et la nature. Elle génère des équations complexes qui jouent sur la vie et la santé. Elle permet d’animer les marchés et donne de l’importance aux activités commerciales. C’est elle qui justifie directement ou indirectement l’existence du ministère de l’agriculture, de l’eau et des mines et tout naturellement de l’environnement et des forêts. Elle soulève des questions d’équité, des problèmes politiques, mais elle échappe à tous nos calculs. Rouge, noire, jaune, sableuse, elle porte sur ses épaules une lourde charge, celle de continuer à faire battre le cœur de l’homme. Et pourtant, ses problèmes n’apparaissent pas dans les grandes conférences. Ça peut paraitre choquant, mais il n’y a pas de quoi à être surpris.
La terre : elle reste sous-estimée
Pour l’instant les politiques se contentent de faire comme l’autruche. Ils ne veulent voir en aucun cas ses problèmes et veuillent bien ne pas avoir à s’occuper de sa dégradation. Or les acteurs sont unanimes, le sol africain, et particulièrement celui du Bénin est en mauvais état. Une conversation surprise, il y a quelques années, a fait part de cette évidence. La terre au Bénin, surtout dans sa partie septentrionale ne va pas bien. L’indicateur d’une bonne santé de la terre, c’est la présence des vers de terre. Ces petites bestioles sont comme des cultivateurs souterrains qui triturent l’humus. Ce sont eux qui mangent les feuilles, les tiges, les racines mortes et labourent discrètement la terre. Ce processus a d’ailleurs inspiré la vermiculure où les vers sont utilisés pour décomposer les déchets organiques et les transformer en un compost plein de nutriments. Ce compost améliore la structure du sol, son aération, sa texture et son degré d’humidité. Leur absence signifie la mort de la terre. A l’origine de leur déclin, l’utilisation exagérée des pesticides et des engrais. Les sols au Bénin souffrent tout naturellement d’une carence évidente en potasse et phosphate. Et les choses ne vont pas s’améliorer tant qu’il n’y aura pas une certaine cohérence entre les prix des engrais et les revenus que les agriculteurs peuvent espérer de leur production. Il faut alors faire quelque chose. Tous les spécialistes estiment que pour enrichir la terre et par conséquent améliorer les rendements, il faut s’inquiéter davantage des sols que des cultures qu’ils portent. Mais comment faire comprendre cela aux bureaucrates ?
La terre et la houe du paysan, même destin
La houe a beau fournir, par son utilisation, le gît et le couvert aux paysans, elle reste, toutefois une houe, à utiliser en cas de nécessité, et pas besoin d’en prendre suffisamment soin, surtout si elle vieillit, si sa manche est cassée ou si sa larme n’est plus adaptée. Ces efforts, chaque saison ne sont pas reconnus. Et son lieu de repos les soirs, ce n’est pas la chambre du paysan, elle passe la nuit dehors, juste couchée sur le flanc ou accrochée à un endroit qui n’est pas défini à l’avance. La branche d’un arbre peut lui servir de dortoir ou un piquet, qu’il soit fabriqué pour lui ou non. En plus, elle n’a aucune possibilité de désobéir. La terre, même si elle arrive, quant à elle, à se rebeller de temps à autre, elle n’est en rien, mieux lotie que la houe, même si elle doit en vouloir aussi à celle-ci Comme la houe, l’homme utilise la terre comme bon lui semble et ne lui réserve rien en retour. Il faut alors des textes pour protéger la terre. Il y en avait eu mais ce n’est pas suffisant. Ceux des pays africains qui n’auront pas compris que la terre a tout autant besoin de protection, feront face à trois situations. Premièrement, Ils produiront des aliments qui ne contiendront pas assez d’éléments nutritifs. Deuxièmement, ils feront un mauvais usage des engrais chimiques. Troisièmement, ils n’arriveront pas à entretenir la fertilité des sols. Faire autre chose pour des pays comme le Bénin dont l’agriculture est la base du développement, c’est tout simplement mettre une croix sur le développement. C’est ce que je crois ! Didier Hubert MADAFIME, à dimanche !