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Au-delà des mots et des maux numéro (100-2)

Il y a une vingtaine d’années de cela, nos parents qui n’avaient que pour seule activité la pêche artisanale se sont vus mis en danger par l’irruption dans nos eaux des bateaux « Kelly ». Ce sont des bateaux chinois, qui, quelques temps après, ont disparu comme ils sont apparus, laissant derrière eux, un champ de ruines : fonds marin saccagé avec une technique de pêche qui ne laisse rien derrière elle, pêcheurs et assimilés asphyxiés. La période, comme on peut l’imaginer, était aussi un cauchemar pour les vendeuses des produits de pêche et les écailleuses. On avait cru, à un moment donné, que la situation était revenue à la normale. Erreur. A la place des bateaux « Kelly », les côtes du Bénin sont aujourd’hui écumées par d’autres types de prédateurs. Il s’agit des navires de pêche étrangers aux effets déstabilisants. Leur lieu de forfait, tout le Golfe de Guinée jusqu’en Mauritanie. Le Centre pour le Droit et la Sécurité Marine en Afrique (CEMLAWS) et son partenaire national ECO-BENIN tirent la sonnette d’alarme, c’était le 23 mai 2023 à l’hôtel du Lac à Cotonou.

Une telle lutte ne peut produire d’effet que si les acteurs sont bien identifiés. En effet, nous sommes ici dans un domaine, où celui qui est en face ne manque pas lui aussi d’imagination. Pour avoir plus de chance de le coincer, il est donc indiqué de s’appuyer sur les compétences locales. Et c’est ce qu’ont compris les responsables du Centre pour le Droit et la Sécurité marine en Afrique (CEMLAWS) dans chaque pays concerné par la lutte contre les prédateurs des ressources halieutiques. Au nombre des acteurs, la société civile, les acteurs communautaires et surtout les médias, à savoir une trentaine de personnes, qui a pris rendez-vous le 23 mai 2023 à l’hôtel du lac pour échanger et partager des informations sur ce qui se passe sur les eaux béninoises. Il se passe que le poisson béninois est volé par des étrangers à travers une pêche aux effets déstabilisants. Ceci, peut expliquer les trous observés annuellement dans la consommation des béninois en matière de poissons. Si on prend 2022, tenez, il est noté une production de 74000 tonnes de poissons alors que pour couvrir le besoin des béninois, il faut 220000 tonnes de poissons chaque année, soit un gap de 146000 tonnes comblés par l’importation. C’est de là, que découle certainement la consommation à grande échelle du poisson chinchard (silivi). Pour un pays doté de tant de ressources en eau, ce n’est pas acceptable. Il faut donc arrêter la saignée.

La société civile, les acteurs communautaires et les médias à la rescousse

La cérémonie d’ouverture a été sobre comme la salle de conférence qui a accueilli cette rencontre. Du Préfet maritime Fernand Ahoyo, jusqu’au Dr Kamal-Al Deen Ali, Directeur Exécutif du projet CEMLAWAS Africa, chacun a utilisé les mots qui conviennent pour décrire la situation en insistant surtout sur le contenu du Projet : « Promotion des capacités locales pour faire face aux impacts déstabilisants des navires de pêche étrangers dans le Golfe de Guinée et en Mauritanie ». Dans les diverses communications qui ont suivi, l’accent a été également mis sur les conséquences des activités de ces navires, notamment l’épuisement des stocks de poissons, la pêche illégale, non déclarée et non règlementée et les effets négatifs sur les moyens de subsistance des pêcheurs artisanaux. Cette pêche illicite provoque en moyenne pour l’Afrique de l’Ouest seule, une perte de 790 000 tonnes environ par an. C’est, au bas mot, 2 milliards de dollars de pertes économiques par an sans oublier les répercussions sur les revenus des pêcheurs. D’où la nécessité, pour les pays situés sur la façade du Golfe de Guinée de prendre le contrôle de leurs ressources océaniques à travers une gouvernance responsable.

Comment relever ce défi ?

La tâche peut paraitre intimidante mais au regard de l’enjeu, point n’est besoin d’hésiter un instant. C’est d’ailleurs, pour cette raison que les objectifs visés par le projet sont de plusieurs ordres. Augmenter la surveillance des OSC ainsi que les reportages des médias sur la pêche illicite et ses conséquences sans oublier la sensibilisation du public aux influences déstabilisantes des navires de pêche étrangers. Il s’agit ensuite de renforcer les capacités de suivi, de contrôle et de surveillance, et d’améliorer le partage d’informations et de renseignements exploitables sur la pêche. Il est prévu enfin, de renforcer la transparence et la responsabilité dans le secteur de la gouvernance de la pêche hauturière et la promotion d’une industrie de pêche nationale et régionale résiliente. Pour atteindre ces résultats, il est prévu par les responsables du projet l’organisation de plusieurs activités, notamment : la formation de tous ceux qui sont impliqués dans la lutte contre la pêche illicite et la surveillance des activités de ces navires étrangers. Le projet gagnerait aussi à sensibiliser la grande masse à la conservation et à l’utilisation durable des ressources marines. Aussi, un besoin de légiférer dans ce domaine est-il opportun. Le projet espère engager le parlement et les parties prenantes sur les impacts délétères des activités des navires étrangers et la possibilité des mesures et poursuite judiciaires contre ces derniers par les gouvernements des pays concernés par la pratique illicite de la pêche. L’océan n’est pas un espace sans loi. Il s’agit juste d’exiger le respect de la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer et les institutions de la sous-région Ouest-Africaine doivent veiller à son application dans les détails. C’est ce que je crois. Didier Hubert MADAFIME, à dimanche prochain !

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