Selon la FAO, le taux de prévalence
de la sous-alimentation en Afrique de l’ouest a grimpé de 10,4% de la population
en 2012, à 15,1% en 2017. En Afrique centrale, selon la même source, ce
taux est passé de 26% à 26,1%, sur la même période.
Ces chiffres montrent que pour que les deux régions atteignent
l’auto-suffisance alimentaire, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Forte de ce constat et compte tenu de l’importance des semences pour
l’agriculture, la fondation Access to Seeds a
procédé à une étude de l’industrie semencière en Afrique de l’Ouest et en
Afrique centrale, en se basant sur des critères tels que la gouvernance et la
stratégie, les ressources génétiques, la propriété intellectuelle, la recherche
et développement, la production de semences, la commercialisation et le
renforcement des capacités.
Avec l’entreprise nigériane Value Seeds en tête, les entreprises Technisem
(France), East-West Seed (Thaïlande), Syngenta (Suisse) et Tropicasem (Sénégal)
forment le top 5 du classement de l’Indice d’accès
aux semences 2019 en Afrique de l’Ouest et du Centre, qui a été
publié suite à l’étude.
Alors que le rapport était présenté au public pour la première fois ce 10 avril
2019 à Dakar, SciDev.Net s’est entretenu avec Timothée Pasqualini,
analyste de données à la fondation Access to Seeds.
Dans cet entretien, le chercheur revient sur ses objectifs ses grandes lignes,
les critères de sélection des entreprises et quelques recommandations basées
sur les révélations de l’étude.
Quel est l’objectif poursuivi dans la publication de l’indice d’accès aux
semences 2019, en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale ?
L’objectif est que les bonnes semences soient accessibles aux petits
exploitants de la région. Et pour cela, il faut que les entreprises fassent un
travail de recherche et de vente. Nous apportons aussi de la transparence et de
la connaissance dans le milieu semencier en Afrique de l’Ouest et en Afrique
Centrale.
Le rapport indique que dans la région considérée, il y a des entreprises
semencières qui abattent un travail sérieux. Elles manquent cependant de
moyens, surtout pour faire de la recherche et développement. Il y a seulement
un tiers des pays de la région qui bénéficient d’un programme de sélection
variétale, permettant de créer de nouvelles variétés.
“L’objectif est que les bonnes semences soient accessibles aux petits
exploitants de la région. Et pour cela, il faut que les entreprises fassent un
travail de recherche et de vente.”
Timothée
Pasqualini, analyste de données à la fondation Access to Seeds.
De plus, les semences ont du mal à traverser les
frontières, ce qui fait que l’industrie n’est pas encore bien régionalisée,
pénalisant les petits exploitants des pays dans lesquels la recherche n’est pas
bien développée. En tête du classement, nous avons Value Seeds, une
entreprise nigériane qui fait beaucoup de travail de recherche sur le terrain
et avec les petits exploitants du Nigéria et qui en plus, a un programme de
renforcement des capacités qui est au plus près des petits exploitants et qui
est adapté à leurs besoins.
Pour aboutir à cet indice, vous avez porté votre étude sur vingt-trois
entreprises. Quels sont les critères de sélection de ces entreprises ?
Nous avons inclus les vingt-trois entreprises les plus performantes, qui ont en
général un programme de sélection, font de la recherche et développement ou
collaborent assez étroitement avec les instituts publics de recherche et les
universités. Elles ont un rôle assez prépondérant dans la région, en termes de
volumes de production.
Quatorze de ces entreprises sont situées au Sénégal. Est-ce à dire que dans
les autres pays, il n’y en a pas d’assez importantes afin que la sélection soit
plus équilibrée ?
Il y a effectivement quatorze entreprises qui commercialisent des semences au
Sénégal. Les critères de sélection sont fondamentalement des critères de
performance et c’est en cela qu’il faut que les autres pays s’inspirent de
l’exemple du Sénégal et du Nigéria pour pouvoir attirer des investissements
dans l’industrie semencière. Cela demande aussi bien un rôle du secteur public
qu’un investissement du secteur privé, qui est actuellement un peu en-deçà du
niveau observé dans les autres régions dans lesquelles nous avons fait le même
travail.
Pourquoi avoir considéré alors des entreprises basées dans d’autres régions
telles que l’Europe, l’Asie et les États-Unis, pour un indice concernant
l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale ?
La priorité de l’indice est l’accès des petits exploitants de la région aux
semences de bonne qualité. Cela constitue l’objectif principal, et donc, que
les semences soient produites par une entreprise étrangère ou non n’est pas le
but. Quand une entreprise fait de la recherche, il faut qu’elle soit faite le
plus près possible des producteurs.
“Quand une entreprise fait de la recherche, il faut qu’elle soit faite le
plus près possible des producteurs.”
Timothée
Pasqualini, analyste de données à la fondation Access to Seeds.
Nous avons par exemple le groupe Technisem, une
entreprise française, qui a des chercheurs en Afrique et qui travaillent avec
des producteurs et les exploitants, pour développer des variétés. Nous avons
aussi des entreprises africaines qui font le même travail.
Votre rapport estime que pour 48% des cultures, la variété la plus récente
est âgée de plus de cinq ans et seulement 21% des cultures ont une variété de
moins de trois ans. Qu’est-ce qui justifie cet attachement aux anciennes
variétés, du reste de moins en moins rentables ?
Nous voyons effectivement que pour près de 50% des cultures mises à disposition
par les entreprises régionales, les variétés les plus récentes ont plus de cinq
ans. Cela implique que les agriculteurs n’ont pas accès aux dernières variétés
de semences. Nous pensons que c’est la dépendance vis-à-vis des instituts de
recherche publics qui en est à la base. De fait, les instituts de recherche
publics ont un rythme moins soutenu que les privés qui eux, doivent aussi
satisfaire des contraintes de rentabilité. C’est ce que nous dit par exemple
Tropicasem au Sénégal, troisième dans notre classement. Le défi est de voir
comment faire plus de recherche par le secteur privé, pour les petits
exploitants.
Le fait que les entreprises n’opèrent que sur les marchés nationaux ne
serait-il pas dû à un problème de gouvernance, plus précisément à une rigidité
des accords commerciaux entre les États dans la région ?
Nous avons appris deux choses directement des entreprises elles-mêmes. Il y a
une limitation commerciale, avec des petites entreprises qui se satisfont
souvent de leur marché local, donc pas besoin de faire de l’export. La seconde
raison est l’incapacité pour certaines entreprises désireuses, de faire de
l’export, du fait de contraintes liées aux douanes et autres réglementations.
Tropicasem nous a par exemple confié qu’il était très difficile d’exporter des
semences du Sénégal, tandis que l’importation est facilitée. Cette situation
est assez problématique car les semences constituent la base de l’agriculture
et leurs échanges devraient être facilités. La réalité est qu’en théorie, la
réglementation en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale facilite les
échanges. Mais les entreprises rapportent que dans la pratique, les choses ne
sont pas aussi simples. Cela a des impacts sur les petits exploitants et aussi
sur l’industrie toute entière. Car s’il est plus facile d’importer des semences
de l’Europe que de les échanger entre le Sénégal et le Burkina Faso par
exemple, cela pénalise l’industrie locale.
Sur la base de cet indice, quelles recommandations formulez-vous pour une
industrie semencière plus forte dans la région ?
Nous recommandons avant tout aux entreprises de la région de s’améliorer, en
s’inspirant les unes des autres, en ce qui concerne les bonnes pratiques.
Aussi, sur la base des informations recueillies auprès des entreprises,
recommandons-nous de faire des efforts pour régionaliser l’industrie semencière
et développer la recherche dans plus de pays, ce qui permettra aux petits exploitants
d’avoir accès aux dernières variétés de semences, beaucoup plus résilientes aux
changements climatiques et aux maladies et ravageurs émergents. Ceci implique
aussi bien les pouvoirs publics que le secteur privé.
Ne faudrait-il pas mettre aussi un accent sur la communication, lorsqu’on
sait qu’il y a quand même de la recherche qui est faite et des variétés ont été
mises au point, mais qui pour une raison ou une autre, ne sont pas connues ou
commercialisées ?
C’est premièrement un problème de communication qu’il faut solutionner, mais aussi un problème de commercialisation de ces variétés. Les instituts de recherche développent des variétés qui n’arrivent pas à être mises sur le marché. Le plus souvent, ces instituts de recherche ne sont pas des entreprises privées et doivent passer par des multiplicateurs de semences pour pouvoir les développer à grande échelle. Par manque de moyens et surtout manque d’intérêt économique, il n’y a pas souvent d’engouement pour développer à grande échelle les résultats de ces recherches et les mettre à la disposition des exploitants. Une fois de plus, il faut que des partenariats entre les entreprises privées, les instituts publics et les organismes internationaux se nouent, pour pouvoir rendre accessibles les bonnes semences aux petits exploitants.
Bilal Taïrou
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